TRIBUNE – Faire la donation d’un bien immobilier à ses enfants pourrait, à l’avenir, être considéré comme un abus de droit par l’administration fiscale, s’alarme le Cercle des fiscalistes.

Vous êtes propriétaire d’un immeuble [terme juridique pour désigner tout bien immobilier, NDLR] que vous désirez donner à votre enfant afin de l’aider à démarrer ses projets ou à constituer un patrimoine confortable. Vous décidez, comme il est fréquent de le faire, de lui donner la seule nue-propriété de l’immeuble en vous en réservant l’usufruit.

Alors que vous gratifiez votre enfant de votre vivant, ce schéma pourrait être dorénavant analysé comme un moyen de diminuer l’impôt que votre enfant devrait normalement acquitter au moment de votre succession.

Les droits de donation sont, dans cette hypothèse, calculés sur la valeur de la seule nue-propriété transmise. Sans donation, l’immeuble serait transmis au moment de votre succession et la fiscalité s’appliquerait à la valeur de la propriété entière du bien en question. En plus des avantages juridiques que procure cette solution, il en résulte une économie d’impôts réelle, et cela est d’autant plus vrai que vous pouvez régler le montant des droits de donation et le coût de l’acte notarié pour le compte de votre enfant.

À l’heure actuelle, l’abus de droit est caractérisé lorsque l’acte en question n’est réalisé que dans un but exclusivement fiscal.

Or un texte voté par les deux Assemblées il y a quelques jours va plus loin: l’administration fiscale pourra retenir l’abus de droit au seul motif que l’acte a un but principalement fiscal. Une arme sera ainsi demain à la disposition de l’administration pour soutenir queles futures donations de ce type constituent un abus de droit.

Cette réforme place le contribuable sous le joug d’une insécurité juridique indéniable et dramatique.

L’enjeu est important puisque les sanctions prévues en cas d’abus de droit sont particulièrement sévères

Si cette disposition entre en vigueur, face à tout schéma juridique un tant soit peu complexe, surgira l’épineuse question de savoir si l’objectif principal est l’opération elle-même ou l’avantage fiscal qu’elle procure. De nombreuses opérations juridiques, fréquentes en pratique, que ce soit dans la sphère de l’entreprise ou auprès des particuliers, sont concernées. Tel sera le cas du particulier qui choisit d’assujettir sa société à l’impôt sur les sociétés plutôt qu’à l’impôt sur le revenu afin de profiter des avantages d’une telle imposition ou du parent qui, utilisantla règle selon laquelle les plus-values issues de donations sont exonérées de fiscalité, donnera les actions porteuses de plus-values et vendra celles n’en générant aucune.

L’enjeu est important puisque les sanctions prévues en cas d’abus de droit sont particulièrement sévères. Bien entendu, l’impôt normalement dû sera exigible. De plus, l’administration fiscale, qui a la haute main sur la fixation des pénalités, pourra majorer ce montant de 40 % pour manquement délibéré, voire de 80 % si elle retient les manœuvres frauduleuses.

La gravité de l’incrimination explique pourquoi le Conseil constitutionnel, en décembre 2013, avait annulé une disposition législative similaire dans sa rédaction mais différente concernant le quantum des pénalités.

Espérons que les parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel, ou que ce dernier s’autosaisisse, afin d’annuler cette nouvelle définition de l’abus de droit. Dans le cas contraire, le risque est de creuser davantage le fossé entre l’opinion publique et l’État. Au moment où les «gilets jaunes» manifestent le «ras-le-bol» général des citoyens face à la fiscalité, est-il opportun de voter cette réforme?

Signataires de la tribune: Philippe Bruneau, président ; Bernard Monassier (administrateur de Dassault Médias) ; Jean-Yves Mercier ; Jérôme Turot ; Jean-François Desbuquois ; Rémy Gentilhomme ; Pascal Lavielle et Frédéric Poilpré.

 

Source: Le Figaro, Tribune collective publiée le 23/12/2018 à 16h41

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